En France, la Justice Restaurative est un programme qui permet aux victimes de rencontrer des personnes coupables d’infraction afin de créer un duel. Le but est que chaque partie puisse communiquer et tenter de se comprendre dans un cadre sécurisé et sous l’égide de professionnels et de bénévoles. Le chemin est semé d’embûches et difficile, tout le monde est à fleur de peau, mais de belles surprises peuvent se produire comme on le voit dans Je verrai toujours vos visages…
Je verrai toujours vos visages est l’un de mes films coups de cœur de ce début d’année. Je ne m’attendais pas à être autant touchée par le sujet et surtout par les acteurs. On ne tombe pas dans le patos, et les personnages racontent leurs histoires avec justesse et dignité. Les dialogues sont superbes et tombent toujours justes.
Une confrontation victimes-coupables
Nawelle, Chloé, Sabine et Grégoire ont tous été victimes d’attaques diverses et variées : braquage à main armé, homejacking, vol à l’arraché, inceste… Leurs vies sont brisées. Ils ne sont plus les mêmes. Ils n’arrivent plus à sortir la tête de l’eau et leurs vies de famille en ont pâtis. Ils sont divorcés, ne sortent plus de chez eux ou sont devenus agressifs. Tous espèrent que la Justice Restaurative leur permettra d’avancer et de reprendre le contrôle de leur vie.
Le film commence avec Fanny, Michel et Judith qui font leur entrée dans le programme. Au fil du temps, on les voit prendre de l’assurance et jouer leur rôle avec de plus en plus d’aise. L’histoire se divise en deux récits parallèles. Michel et Fanny supervisent un groupe de 6 personnes. Nawelle, Sabine et Grégoire ont accepté de prendre part au programme dans l’espoir de dialoguer avec des condamnés et tenter de comprendre. Pourquoi eux ? Pourquoi faire de telles actions ? Éprouvent-ils des remords pour ce qu’ils ont fait subir aux victimes ? Quant aux prisonniers, Nassim, Issa, et Thomas, ils ont également leurs propres raisons de participer, communiquer avec les victimes ou tenter de se faire comprendre.
J’ai adoré leurs discussions. Ils restent respectueux, mais les victimes ne veulent rien lâcher. Ils veulent comprendre. Ils exigent des réponses. Assis en cercle, ils commencent par utiliser un bâton de parole avant de passer à un dialogue plus simple. J’ai vraiment aimé la dynamique. Il y a de la colère, de la peur, du stress, de l’incompréhension du côté des victimes. Les prisonniers, pour leur part, restent dignes. Ils répondent aux questions et tentent de se justifier plus ou moins maladroitement. J’ai vraiment aimé le fait que le dialogue n’est jamais brisé. Les bénévoles font vraiment un excellent travail de modérateur.
Un combat pour la vie
Le deuxième récit concerne Chloé, une jeune femme qui apprend que son demi-frère est de retour dans la région. Le choc est brutal, car elle ne l’avait pas revu depuis des années après une sombre histoire de famille. Elle prend donc contact avec Judith, qui travaille à la Justice Restaurative, afin de préparer une éventuelle rencontre avec son frère. Elle veut éviter à tout prix de le croiser par accident et demande une rencontre supervisée avec son frère afin qu’ils se mettent d’accord sur un planning pour ne jamais se croiser. C’est une jeune femme digne qui a mis des années à se reconstruire. Sa relation avec Judith est des plus touchantes. A chaque étape, elle lui demande ce qu’elle pense, ce qu’elle repense, ce qu’elle veut faire. Consentement est le maître-mot. Elle lui donne ce que Chloé n’a jamais reçu de certains membres sa famille, du respect et de la considération.
Judith fait tampon entre Chloé et son frère. Elle établit une relation en parallèle entre les deux membres de la fratrie qui doit mener à une rencontre finale aux cours de laquelle ils pourront s’exprimer. La situation est délicate, les émotions à fleur de peau. Car il s’agit de ne pas faire plus de mal à Chloé qu’elle n’en a déjà vécu. C’est une femme forte, qui veut aller jusqu’au bout de son projet. Elle ne veut rien lâcher. Elle ne veut pas vivre dans la peur.
Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry est un film magnifique qui donne tant la parole aux victimes qu’aux prisonniers. Il ne s’agit pas de juger, mais de créer un dialogue entre les deux parties. Et quels dialogues… Je ne m’en remets vraiment pas. Les mots sont justes, les émotions réelles, les récits réalistes… C’est vraiment un drame à voir et à revoir.
Des acteurs au sommet
Les acteurs sont justes somptueux. J’ai eu un énorme coup de cœur pour Adèle Exarchopoulos. Elle est juste parfaite dans le rôle de cette femme brisée qui cherche à reprendre le contrôle de la narration et des événements. Élodie Bouchez, qui lui vient en aide, joue son rôle de conseillère avec beaucoup de juste. Le duo fonctionne à merveille. Leïla Bekhti interprète le rôle d’une femme qui ne se remet pas d’avoir été braquée. Elle ressasse les événements encore, encore, encore et encore. Au point d’en négliger sa famille qui ne comprend pas pourquoi elle ne s’est pas remise de cette situation passée. Elle carbure donc à la colère. Colère contre le braqueur. Colère contre elle-même pour ne pas arriver à dépasser tout ça. Miou-Miou est dans la même situation. Victime d’un crime à l’arrachée dans la rue, elle jour le rôle d’une retraitée qui vie désormais enfermée chez elle. Elle craint de sortir et se renferme sur elle-même. Au point d’en négliger ses enfants et ses petits-enfants. Vient enfin Gilles Lellouche. Alors qu’il vivait heureux en famille, son personnage a été victime d’un homejacking avec sa fille. Brisé, il n’est jamais parvenu a retrouvé sa vie d’avant, au point d’en perdre sa famille.
Dali Benssalah, Birane Ba et Fred Testot participent au film dans les rôles de prisonniers. Ils sont fantastiques. Pas hautains ou méprisants pour deux sous, ils sont le pendant des victimes. Fred Testot est un drogué, qui a passé une grande partie de sa vie en prison à cause de sa dépendance aux drogues. Il vole pour trouver de quoi payer sa dernière dose. C’est un homme qui vie au jour le jour, sans ambitions ou volonté. Dali Benssalah est un braqueur professionnel. Très calme et posé, il donne l’impression de vouloir s’en sortir. Quant à Birane Ba, c’est un homme qui ne sait pas quoi faire de sa vie. Il vole parce qu’il le peut. Jean-Pierre Darroussin, Denis Podalydès et Suliane Brahim participent également au casting.
On se plaint souvent que le cinéma français est prévisible et de mauvaise qualité. Je verrai toujours vos visages est la preuve qu’l ne faut pas se fier aux clichés.
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