Une Allemande mariée à un Français. Sandra et Samuel vivent expatriés en France avec leur fils Daniel. A la mort de son mari défenestré, elle est accusée du meurtre. Nous la suivons lors de l’enquête et de son procès dans cette analyse avec spoilers d’Anatomie d’une chute.
Innocente ou coupable ?
Faisons une analyse plus complète du film Anatomie d’une chute de Justine Triet, avec spoilers cette fois. Dès le départ, le doute plane car nous n’assistons pas au meurtre/accident. Nous ne voyons que Daniel trouver le corps sans vie de son père et appeler sa mère en hurlant. Nous voyons donc l’avant et l’après, contrairement à ce qui se déroule dans Columbo. Donc la question se pose immédiatement : coupable ou innocente ? Personnellement, je penche pour l’innocence de Sandra pour plusieurs raisons. Beaucoup des preuves présentées par l’accusation n’en sont en effet pas vraiment pour moi.
Un enregistrement à remettre en question
Prenons l’exemple de l’enregistrement effectué par Samuel. Ayant besoin de matière pour un prochain livre, il avait pris l’habitude d’enregistrer des moments de sa vie quotidienne et de celle de sa famille. Pour l’accusation, la violence verbale et physique exprimée par Sandra sur la bande-son est la preuve qu’elle peut être violente et que c’est une manipulatrice. Samuel se plaint en effet de devoir parler anglais car elle ne parle pas français. Il lui reproche aussi de ne pas avoir le temps d’écrire son livre car il fait la classe à son fils ou encore de lui avoir volé une idée pour un de ses romans. Ce qui commence comme une simple conversation se termine en dispute physique où les deux en viennent aux mains. Or, ce que la police et l’avocat général refusent d’admettre, c’est que Sandra affirme qu’elle ne savait pas qu’elle était enregistrée. Elle explique en effet que Samuel ne leur disait plus lorsqu’il les enregistrait, son fils et elle. Donc si lui savait qu’il était enregistré et pas elle, il aurait très bien pu la manipuler en parlant de sujets qui fâchent afin de provoquer une dispute. Dans quel but ? Je ne sais pas, mais il est logique de penser qu’une personne qui a conscience d’être enregistrée n’aura pas le même comportement qu’une personne qui n’en est pas consciente. Donc le fait que l’accusation s’appuie aussi lourdement sur cet enregistrement est problématique car Sandra était au naturelle contrairement à Samuel.
Un comportement séducteur ?
Autre point de crispation, le comportement de Sandra vis-à-vis de l’étudiante venue l’interviewer. Pour l’accusation, le fait de lui proposer du vin et d’esquiver les questions sont une preuve de la tentative de séduction de l’auteure envers cette jeune femme. Elle a en effet déjà eu une liaison avec une femme par le passé. Je ne suis pas vraiment d’accord avec cette façon de penser. Sandra est venue en France, dans ce « trou perdu », ville natale de son mari, pour lui faire plaisir. Elle, elle souhaitait rester à Londres. Donc elle est toujours heureuse de recevoir de la compagne, homme ou femme, car elle est presque toujours seule. Si les seules personnes qu’elle voit et côtoie sont son fils et son mari, toute visite est la bienvenue. Et si elle se montre quelque peu familière, pourquoi pas ? Nous ne voyons pas Sandra dans son « milieu naturel », avec ses amis et sa famille. Nous ne savons donc pas comment elle se comporte hors du cercle familial. Il est alors difficile de juger si son comportement est habituel ou non.
Daniel : le moment du choix
Tout au long du film Anatomie d’une chute, nous découvrons plusieurs facettes de Sandra. L’épouse, la mère, l’auteure, l’accusée, l’innocente. Elles sont différentes mais ont un but commun : protéger Daniel, qui veut comprendre. Il veut savoir pourquoi et comment son père et mort. Jusqu’au moment où il doit faire un choix entre croire en l’innocence de sa mère et croire en sa culpabilité. Il doit décider quelle version de la mort de son père est la plus vraisemblable à ses yeux. Il décide de croire sa mère. Cette prise de décision le pousse à témoigner à nouveau au procès, après avoir entendu sa mère raconter une histoire au procès. Elle a en effet expliqué avoir un matin découvert Samuel dans son vomi, où elle pouvait voir des morceaux blancs, semblables à des morceaux de médicaments. Or, Daniel se souvient avoir un jour trouvé Snoop, son chien, mal ne point, auréolé d’une odeur de vomi. Et si son chien avait mangé le vomi de son père, se rendant malade par la même occasion ? Il décide donc de refaire l’expérience en lui donnant une dizaine de cachets de doliprane. L’expérience est concluante, mais dangereuse, et Snoop s’en sort en vomissant après avoir bu de l’eau salée. Je pense que l’expérience, couplée à la révélation de sa mère sur l’incident, l’ont convaincu de l’innocence de sa mère et ont dissipé les doutes qu’il pouvait avoir.
Une culpabilité écrasante
Il me semble qu’en droit, pour être jugé coupable, le jury doit être convaincu au-delà de tout doute raisonnable, car le doute profite à l’accusé. On peut se poser la question. Est-ce que le jury a considéré que les preuves contre Sandra n’étaient pas assez convaincantes ou au contraire, qu’elle ne pouvait pas être coupable ? Personnellement, j’ai été convaincue de son innocence avec l’écoute de l’enregistrement. Pour moi, Samuel se victimise beaucoup. Il lui reproche de ne pas avoir le temps d’écrire car il donne des cours à Daniel. Pourtant, Sandra lui a proposé de scolariser leur fils, mais son père voulait passer du temps avec lui. Car il se sent coupable. En effet, lorsque Daniel avait 4 ans, son père devait aller le chercher aller à l’école, mais pris dans l’écriture de son livre, il a demandé à la baby-sitter d’y aller à sa place. Cette dernière est arrivée en retard et alors qu’ils repartaient, le petit garçon s’est fait heurter par un véhicule, lui endommageant le nerf optique de manière irrémédiable. Il est désormais malvoyant, pendant que son père est rongé par la culpabilité. Il ne s’en est jamais vraiment remis.
Réalité ou ressenti ?
De plus, on ne peut pas tout vouloir et son contraire. Il a voulu déménager en France pour ouvrir une maison d’hôtes. Et donc s’atteler aux travaux d’aménagement du chalet. C’est également un enseignant. Où donc trouver le temps d’écrire ? Contrairement à lui, Sandra écrit régulièrement car elle s’aménage du temps. Et ses livres rencontrent non seulement le succès car elle est talentueuse. N’y aurait-il pas une forme de jalousie de sa part ? Je pense honnêtement qu’il s’est suicidé. Son psychiatre a beau dire qu’il allait mieux, on ne peut jamais vraiment savoir ce qui se passe dans l’esprit de quelqu’un. Il était quand même sous médication pour soigner ses problèmes de dépression. Auprès de son médecin, il se plaignait beaucoup de sa femme, qu’il accusait de lui reprocher les blessures de Daniel. Il se sentait rabaissé et qu’elle le forçait à culpabiliser. Et il lui en voulait énormément. Mais peut-on vraiment prendre son témoignage pour argent comptant ? Après tout, Samuel avait peut-être besoin d’un défouloir, de quelqu’un à qui se confier sur son ressenti. Le ressenti et la réalité sont parfois différents. Peut-être qu’il ressentait des choses qui n’étaient pas exactement la réalité. Qui sait ?
Sandra n’est pas parfaite. Elle a menti à plusieurs reprises à la police, elle a caché certaines choses et elle semble être d’une personnalité dominante. Pourtant, je suis persuadée de son innocence. Je pense qu’il s’agit d’un enchaînement de circonstances diverses et variées qui ont conduit à la mort de Samuel, avec pour pont de départ l’accident de Daniel.
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