Sandra, son mari Samuel et leur fils Daniel vivent isolés à la montagne, dans un chalet qu’ils comptent transformer en chambres d’hôtes. Un beau jour, Daniel, malvoyant, revient de promenade et trouve son père écrasé au sol devant la maison. La police décide d’ouvrir une enquête pour mort suspecte. Anatomie d’une chute retrace l’enquête de la mort de Samuel au procès.
Un chef-d’œuvre. Justine Triet a réalisé un chef d’œuvre qui mérite amplement sa Palme d’or. Très simple dans la mise en scène, parfois même académique, Anatomie d’une chute est pourtant un film coup de poing. Coupable ? Innocente ? On se pose la question tout au long du film, changeant d’opinion à chaque nouvelle révélation.
Sandra, une Allemande expatriée en France, et Samuel, un Français, ont quitté Londres pour s’installer dans la ville natale de ce dernier. Isolée, loin de toute vie sociale, Sandra dépérit un peu, entre ses journées passées à écrire ses romans et le temps qu’elle passe à s’occuper de Samuel, leur fils devenu malvoyant à 4 ans après un accident. Ses journées se suivent et se ressemblent. Sauf le jour où elle reçoit une étudiante qui vient l’interroger dans le cadre de sa thèse. Mais la conversation tourne court lorsque Samuel monte le son de la musique qu’il écoute en effectuant des travaux sous les combles. Les deux femmes sont alors contraintes de cesser leur conversation. Daniel part ensuite se promener avec son chien de service Snoop pendant que sa mère s’occupe de son côté. Lorsqu’il revient devant la maison, il trouve le corps défenestré de son père. La police mène son enquête et penche pour une mort suspecte. Très vite, Sandra est suspectée, arrêtée et jugée.
Une mère suspecte
Quasiment dès le départ, Sandra est suspectée par la police, peu convaincue par les causes de la mort de Samuel. Anglophone, elle comprend le français mais ne le parle pas très bien. Elle n’est pas à l’aise dans la langue de Molière. Pendant tout le film, nous passons donc de l’anglais au français en fonction de la situation. Cela ne pose aucun problème à la compréhension du film, bien au contraire, nous comprenons mieux la mère de famille lorsqu’elle s’exprime dans une langue qu’elle maitrise. Mais le comportement étrange de Sandra intrigue la police. Elle semble cacher des choses, change de version et donne des explications un peu confuses parfois. Pour se protéger, elle fait appel à un de ses anciens amis, avocat, afin qu’il lui serve de conseil et la représente.
Une bataille d’opinion et d’experts
L’une des forces d’Anatomie d’une chute est sa mise en scène, très académique. Nous passons de moments dans la maison, la scène du crime, au déroulement du procès au tribunal. Justine Triet ne prend jamais partie, ni pour la défense, ni pour l’accusation. Elle se contente de nous fournir des éléments, et à nous de nous faire notre propre opinion. L’accusation et l’avocat général attaquent, dénoncent et interprètent à leur façon les différents éléments de preuves. La dispute violente de la veille de l’accident ? C’est un mobile. L’ancienne liaison de Justine ? Une preuve que c’est une menteuse et une infidèle. La défense au contraire, cherche à tout justifier. On ne peut pas prouver que la dispute s’est poursuivie jusqu’au lendemain. Et la liaison ne s’était produite qu’une seule fois il y a longtemps. Chaque partie fait témoigner ses experts qui vont dans leur sens. C’est très intéressant à regarder car on se rend compte que tout n’est qu’une question d’interprétation. Selon le parti auquel on adhère, les preuves sont valables ou pas, s’expliquent ou pas.
Une vie disséquée
En tant qu’accusée, toute la vie de Sandra est disséquée sur la place publique. C’est un deuxième choc, après celui d’être arrêté et jugé. Chaque attitude, chaque geste, chaque parole, tout est interprété. Tout se retourne contre elle, qu’il s’agisse de son comportement passé ou actuel ou de sa vie sexuelle et personnelle. C’est une situation à la fois embarrassante et gênante, de devoir se justifier sur tout. On a l’impression que tout le monde connait mieux Samuel qu’elle. Que son psychiatre le connait mieux que lui alors qu’il ne le côtoyait que quelques jours par semaine. L’avocat général se présente comme le défenseur de la mémoire de Samuel et ne laisse rien passer. Il veut tout comprendre et savoir, avec parfois un peu d’acharnement. Ce qui est également intéressant avec Anatomie d’une chute, c’est que selon le point de vue que l’on adopte, innocente ou coupable, je pense que l’on regarde le film différemment et que le ressenti que l’on peut avoir pour Sandra varie. On peut ainsi la considérer comme perdue et triste ou comme égoïste et arrogante.
Daniel, le dommage collatéral
Daniel se trouve au milieu de toute l’affaire car il est de tous les côtés. Il est à la fois le fils de la victime, le fils de l’accusé et un témoin car il se trouvait sur les lieux au moment de l’accident. La police et l’avocat général prennent donc son témoignage avec des pincettes car il change de version et ils ne savent pas s’il est capable de mentir pour protéger sa mère. De plus, il tient absolument à assister au procès. La juge doit donc veiller à la fois à la protéger et à veiller à ce qu’il ne soit pas influencé au vu de sa situation familiale complexe. Le petit garçon va donc se retrouver au milieu d’une affaire très grave alors qu’il est très jeune. Il va voir et entendre des choses très personnelles sur ses parents. C’est une situation incroyablement difficile pour ce jeune enfant malvoyant. On a beaucoup de compassion pour lui.
En sortant d’Autonomie d’une chute, attendez-vous à ressasser cette histoire ad nauseam, en vous demandant ce que vous avez manqué et si votre jugement est le bon.
Si vous cherchez d’autres films dans la lignée d’Autonomie d’une chute, je vous conseille Saint Omer ou Mon crime. Vous pouvez également prolonger l’analyse du film dans l’article avec spoilers.
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